Des robots cannibales qui se reproduisent
De l'Intelligence Artificielle (IA) à la vie artificielle ? Des chercheurs de l'Université de Columbia à New York développent une nouvelle génération de robots. Ceux-ci imitent non seulement la pensée, mais aussi le métabolisme des êtres vivants.
Vus de l'extérieur, ils semblent insignifiants : des modules allongés avec des connecteurs magnétiques et de petits moteurs, à peine plus grands qu'une règle. Mais ce qu'ils permettent de construire pourrait révolutionner la robotique. Des chercheurs de l'Université de Columbia ont développé une nouvelle plateforme robotique capable de s'assembler, de se transformer, de se réparer et même de grandir en récupérant des pièces dans son environnement ou sur d'autres robots. La vision des scientifiques : une « écologie robotique » dans laquelle les machines ne se contentent pas de fonctionner, mais évoluent activement, à l'instar des êtres vivants.
Des robots comme des organismes
Les organismes biologiques sont des systèmes ouverts : ils absorbent de l'énergie et des matières, les transforment et rejettent des déchets. C'est précisément ce métabolisme – la capacité de croître, de se régénérer et de se répliquer – qui fait défaut aux robots actuels. Si l’IA est capable de prendre des décisions de plus en plus complexes, le matériel reste quant à lui statique. Aujourd'hui, les corps des robots sont généralement monolithiques, non adaptables et non réparables.
Le nouveau concept de « Robot Metabolism » vise à changer la donne. Il ne s'agit pas seulement d'auto-réparation ou d'impression 3D, mais d'un métabolisme matériel : les machines doivent pouvoir modifier leur forme physique de manière autonome, sans aide humaine et sans installations de fabrication externes. Seules l'énergie et les pièces robotiques compatibles peuvent provenir de l'extérieur.
Truss Links : les éléments constitutifs de la vie robotique ?
Le « Truss Link » est un module robotique modulaire capable de s’allonger, de se raccourcir et de se connecter ou se détacher d’autres modules grâce à des connecteurs magnétiques, formant ainsi des structures variées et mobiles pouvant ramper, grimper ou se reconfigurer.
Le point d’orgue : ces modules ne sont pas programmés de manière rigide, mais peuvent apprendre ensemble à se déplacer ou à se reconfigurer plus efficacement. Ainsi, des robots plus complexes dotés de nouvelles capacités sont créés à partir de maillons individuels, tout comme un organisme se développe à partir de cellules.
Dans un dispositif expérimental, les chercheurs ont montré comment sept Truss Links peuvent se transformer en plusieurs étapes en un robot fonctionnel : dans un premier temps, trois modules forment une étoile, trois autres un triangle. Ces deux structures s'assemblent pour obtenir un « diamant avec queue », une figure qui est à son tour capable de se plier sur un bord et de former un tétraèdre 3D stable.
Mais ce n'est pas tout : le robot fini découvre un Truss Link séparé, l'intègre et se transforme en un « tétraèdre à cliquet » – une forme particulièrement mobile qui peut se déplacer plus rapidement que toutes les étapes précédentes. Des simulations et des expériences réelles ont montré que cette forme rampe jusqu'à 66% plus vite que ses prédécesseurs.
À l'instar d’organismes vivants, les robots modulaires peuvent également réagir à des blessures. Si une connexion se rompt lors d'une chute, les modules tentent de rétablir leur structure d'origine, parfois avec succès. Dans une autre expérience, un modèle tétraédrique a perdu une partie de lui-même à la suite d'une panne de courant simulée d'un module, mais l'a remplacée par un Truss Link fonctionnel qui se trouvait à proximité. De telles expériences suggèrent que les robots du futur pourraient être capables de se débarrasser de manière ciblée des pièces endommagées, de les remplacer et de se reconfigurer, à l'instar d'une salamandre qui fait repousser sa patte.
La coopération plutôt que le combat solitaire
Particulièrement intéressant : les robots Truss peuvent également s'entraider. Dans une expérience, un tétraèdre à cliquet fini a aidé un robot couché à se redresser. Grâce à une interaction sophistiquée, presque comme une grue, la structure a été soulevée, a pu se déployer et se transformer en un autre tétraèdre. Il en résulte une sorte de réplication coopérative, première étape vers une « population de machines » autonome.
Le système n'en est encore qu'au stade de prototype. Les modules sont relativement grands et sont commandés manuellement à l'aide d'un clavier. La communication entre les modules, l'intégration des capteurs et la commande décentralisée n'en sont encore qu'à leurs débuts. L'environnement réel pose également régulièrement des défis aux simulations. Mais l'équipe n'y voit pas un obstacle insurmontable, mais plutôt l'image typique du début d'une nouvelle génération technologique. À l'avenir, des modules plus petits, pouvant être produits en série, dotés de leurs propres capteurs et d'une commande intelligente, devraient permettre de faire évoluer la plateforme vers un véritable « écosystème artificiel ».
Économie circulaire des machines
Les chercheurs envisagent des domaines d'application, tels que les systèmes autonomes capables de s'auto-alimenter, de s'auto-entretenir et de s'auto-adapter, par exemple dans les zones sinistrées, au fond des océans ou dans l'espace. Des éléments qui adaptent leur forme pour surmonter des obstacles ou se reconstituer à partir de pièces endommagées. Enfin, ces modules pourraient aussi être davantage durables : au lieu de jeter les robots défectueux, il serait possible de remplacer, de transformer ou de recycler certaines pièces, dans l'esprit d'une « économie circulaire des machines ».
Contribution de: Hendrik Thielemann